La Licorne et les étoiles filantes

15 novembre 2019 Non Par Karl Antier

En fin de nuit du jeudi 21 au vendredi 22, vers 5h50 du matin, un phénomène intéressant et spectaculaire pourrait avoir lieu : un bref sursaut d’activité des alpha-Monocérotides. Le dernier avait eu lieu en 1995 !

Figure 1- Une alpha-Monocérotide photographiée par la Dutch Meteor Society (DMS) pendant le sursaut de 1995. Crédit : DMS

La pluie d’étoiles filantes* des alpha-Monocérotides (AMO) est une petite pluie active tous les ans, mais dont l’activité est généralement discrète et facilement oubliée au profit des célèbres Léonides, actives presque au même moment. Cependant, cette petite pluie a déjà été la source de sursauts d’activité, notamment en 1925, 1935 et 1985, années pendant lesquelles les astronomes ont été surpris de la forte activité de cette source d’origine inconnue. En analysant ces sursauts, les astronomes ont alors prévu qu’un nouveau sursaut pourrait avoir lieu en 1995. Ce qui fut le cas ! Le ZHR* est alors monté pendant une petite demi-heure à près de 400 ! Une sursaut bref, mais intense. D’après Peter Jenniskens et Esko Lyytinen (2019a), c’est ce qui pourrait se passer cette année.

Des prévisions d’activité revues à la hausse

Ces deux astrophysiciens viennent en effet de revoir les prévisions d’activité des alpha-Monocérotides à la hausse. Il y a quelques semaines, rien d’exceptionnel n’était prévu. Mais en analysant de nouveau les données et les incertitudes des observations de 1995, ainsi que du petit sursaut enregistré en 2017, ils se sont aperçus que la Terre pourrait de nouveau croiser ce fin filament de particules en 2019. Les taux horaires (ZHR) pourrait alors atteindre 200-300 (mais pas plus de 500) d’après Esko Lyytinen. Peter Jenniskens est lui plus optimiste, estimant qu’il pourrait atteindre 600 (Jenniskens P., Lyytinen E., personal communication). Quoiqu’il en soit, il est possible qu’un sursaut d’activité de cette source ait lieu.

Une seule manière de le savoir : sortir et aller observer ! D’autant que la date et l’horaire du maximum ne pouvaient être plus favorables : le pic est attendu le 22 novembre, à 04h 50min TU (soit 05h 50min, heure locale française). La nuit est encore là pour l’Europe occidentale, le radiant* (localisé dans la Licorne, voir Figures 2 et 3) est au plus haut dans le ciel, et la Lune, présente sous forme d’un croissant de 20%, ne sera qu’une nuisance mineure ! Que rêver de mieux ? Reste à espérer que le sursaut ait lieu, et que la météo soit favorable…

Figure 1- Position du radiant des alpha-Monocérotides du 15 au 25 novembre. Source : Intenational Meteor Organization

Un spectacle exceptionnel ?

Les curieux qui souhaitent observer le phénomène doivent cependant en être conscient : il ne se passera peut-être rien. Même si les prévisions de pics météoriques sont de plus en plus précis, certains sont plus ou moins faciles à prévoir, et celui là est sujet à quelques incertitudes liées à la position du filament, qui est très fin… et dont potentiellement facile à rater. Mais si le phénomène devait avoir lieu, et malgré les chiffres impressionnants du ZHR, il ne faut pas oublier qu’en 1995, le sursaut avait duré… 30 minutes ! Le ZHR est estimé pour une durée de une heure, et pour des conditions optimales d’observation, et le nombre de météores* réellement observé est généralement moindre. Comme le pic durera moins d’une heure, et qu’il atteindra ce taux au maximum seulement, le nombre de météores observé ne dépassera probablement pas 50 ou 100, dans le meilleur des cas.

Observer les alpha-Monocérotides en spectateur

Pour les personnes qui souhaitent tout simplement profiter du spectacle, rien de plus simple ! L’observation des météores (synonyme d’étoiles filantes) est des plus accessibles. Il vous suffit de vous munir d’une chaise-longue (ou d’un matelas), d’un duvet chaud (ou de couvertures)… et c’est tout (mais c’est important car l’inconfort et le froid peuvent vite devenir très désagréables) ! Car le meilleur instrument pour les admirer, c’est l’œil nu. Pour être sûr de ne pas rater l’événement, l’idéal est d’observer une heure avant et après le pic (prévu le 22 novembre, à 05h 50min, heure locale française).

Utiliser ses yeux, c’est bien, mais les positionner au bon endroit dans le ciel, c’est mieux ! Heureusement, le ciel est là pour vous aider, puisqu’il vous offre des étoiles brillantes pour vous repérer. Le radiant des alpha-Monocérotides est localisé très près de l’étoile principale du Petit Chien, Procyon, au Nord de la Licorne (Figure 2). Décalez encore votre regard vers l’Ouest, et centrez-le sur la constellation des Gémeaux (reconnaissable grâce à ces deux étoiles brillantes qui symbolisent les têtes de Castor et Pollux), et vous devriez être bien positionné pour capter le maximum de météores en provenance de cette source !

Figure 3- Le ciel au-dessus de l’horizon Sud-Ouest le 22 novembre, vers 05h 50min (heure locale française). Les observateurs devraient centrer leur champ de vision vers la constellation des Gémeaux pour optimiser leur collecte d’alpha-Monocérotides, qui sembleront toutes venir du radiant, localisé entre Procyon (dans le Petit Chien) et la Licorne. Crédit image : Stellarium

Si le sursaut a lieu, vous devriez alors voir, pendant quelques dizaines de minutes, le nombre d’étoiles filantes augmenter, pour potentiellement atteindre 7 alpha-Monocérotides par minute, avant de retomber rapidement. Si tel est le cas, bravo ! Vous avez vu le sursaut d’activité de cette petite pluie. Si ce n’est pas le cas, c’est également important pour les scientifiques de le savoir, afin d’affiner les futures prévisions. Et vous aurez passé un joli moment sous les étoiles.

Observer les alpha-Monocérotides en scientifique

Regarder, c’est bien, enregistrer, pour les plus motivés, c’est encore mieux ! C’est ce que fait l’Organisation Internationale des Météores (International Meteor Organization, imo.net) depuis maintenant près de 25 ans. Donc si vous voulez enregistrer vos météores et que vos données soient collectées et mises en commun avec toutes les observations réalisées dans le monde, n’hésitez plus, c’est possible ! Encore faut-il respecter quelques règles, afin que vos données soient exploitables.

  1. Mettre votre montre à l’heure, et vues les conditions d’observation potentielles des alpha-Monocérotides, la mettre à biper à intervalles réguliers (1 minute est l’optimum).
  2. Enregistrer les coordonnées de votre lieu d’observation (latitude, longitude, altitude), et la ville la plus proche.
  3. Enregistrer l’heure de début et de fin de votre session d’observation.
  4. Enregistrer les coordonnées célestes (en ascension droite et déclinaison) du centre de votre champ de vision.
  5. Enregistrer la magnitude limite de votre ciel. Pour ce faire, la méthode préconisée par l’IMO est de compter le nombre d’étoiles visibles dans une aire du ciel délimitée par des étoiles. Nous vous conseillons, pour l’observation des alpha-Monocérotides, d’utiliser les aires n°2, n°4, n°8 ou n°17. Chaque compte donne une magnitude limite, et il faut faire la moyenne des trois.
  6. Enregistrer toute obstruction du champ de vision et de la couverture nuageuse (en %).
  7. Enregistrer les météores, notamment les alpha-Monocérotides, c’est-à-dire ceux dont la trajectoire prolongée s’aligne avec le radiant (heure, luminosité, et éventuellement vitesse apparente, durée de la traînée persistante, couleur). Dans le cas où l’activité devient forte, et parce que le pic risque d’être très court, Esko Lyytinen et Peter Jenniskens recommandent d’enregistrer le nombre de météores et leur magnitude par tranche de 1 minute, afin d’essayer de détecter les fines variations d’activité pendant le pic.
  8. Ensuite, il suffit de remplir le rapport d’observation visuelle en ligne, et votre session sera ajoutée à toutes celles qui auront été récoltées pour l’occasion !

Bons ciels à tous !
Et si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous contacter.

Sources

  • Jenniskens P. and Lyytinen E. (2019a). Alpha Monocerotids 2019. CBET 4692. D. W. E. Green (editor), IAU, Central Bureau for Electronic Telegrams.

Liens

Lexique

  • une pluie d’étoiles filantes est l’ensemble des météores associés à un nuage de météoroïdes issus d’une même source (comète ou astéroïde)
  • une comète est un objet constitué de roches et de glaces généralement localisé aux confins du Système solaire, mais qui peut se rapprocher périodiquement du Soleil. En s’en rapprochant, les glaces de la surface du noyau se subliment, entraînant avec elles les poussières qu’elles contiennent. Ce qui donne naissance aux queues de gaz et de poussières caractéristiques de ces objets.
  • un météore (ou étoile filante) est le trait lumineux observé lorsqu’une poussière interplanétaire ou un petit météoroïde pénètre dans l’atmosphère terrestre à très grande vitesse (entre 12 et 72 km/s)
  • un météoroïde est une petite particule de quelques millimètres à quelques dizaines de centimètres de diamètre qui se déplace dans l’espace. C’est elle qui donne naissance au météore si elle a la chance de pénétrer dans l’atmosphère de la Terre. Si le météoroïde est suffisamment massif, une partie de l’objet peut résister à cette entrée dans l’atmosphère, et donner naissance à une météorite.
  • une météorite est le caillou rocheux ou métallique qui est retrouvé sur terre, lorsqu’une partie d’un météoroïde suffisamment massif a réussi à traverser l’atmosphère et arriver au sol.
  • le radiant d’une pluie d’étoiles filantes est le point de la voûte céleste d’où semble provenir, par effet de perspective, les météores issus d’une même pluie.
  • le ZHR (Zenithal Hourly Rate, ou Taux Horaire Zénithal) est le nombre de météores que pourrait observer un individu dans des conditions d’observations parfaites : ciel bien noir et radiant localisé au zénith.