Derrière le météore se cache… Starlink !

23 janvier 2022 Non Par Karl Antier

C’est un bien étrange phénomène auquel on assisté de nombreux témoins matinaux de l’ouest et du centre de la France en ce 16 janvier 2022, vers 06h 28min (heure locale française). Un long fuseau lumineux se déplaçant lentement dans le ciel, tout en se fragmentant en de multiples parties. Comme une énorme étoile filante très lumineuse (scientifiquement appelé bolide*), mais beaucoup plus lente, et d’aspect différent comme le souligne les descriptions qu’on pu en faire les témoins ayant rapporté leur observation vie le formulaire d’observation en ligne (Figure 1).

Figure 1- Carte des témoins de la rentrée atmosphérique du satellite Starlink-2287, le 16 janvier 2022, vers 06h 29min. La flèche bleue indique la trajectoire de l’objet déduite des rapports visuels. Crédit: Fripon/Vigie-Ciel/IMO

Un objet « très impressionnant à observer »…

  • « Une longue trainée avec des petits « déchets » incandescents qui sortaient de la traînée. La « tête » de la traînée étaient très lumineuse jaune orangée. La « queue » de jaune lumineux à orangé en direction de la tête. La progression était très lente (observée pendant près de 60 secondes avant la disparition dans le ciel) contrairement aux météorites que j’ai l’habitude d’observer ce qui m’a d’abord fait penser à la trainée d’un avion mais lorsque j’ai observé les fragments incandescents qui s’en échappaient en regardant mieux il s’agissait d’un objet incandescent rentrant dans l’atmosphère. Etait-ce un bolide ou un satellite s’abîmant dans l’atmosphère vu la lenteur de l’évènement ? » (Philippe D.)
  • « Au départ, ça faisait comme une traînée laissée par un avion (plutôt blanche à jaune clair), puis la couleur a changé (plus orange). J’ai vu apparaître une, puis deux (ou trois?) points orangés se détacher de la pointe initiale, qui suivaient tout de même la trajectoire. » (Celine T.)
  • « La lune se couchait, quand j’ai vu le bolide il était déjà entré en fusion. La vitesse n’était pas exceptionnelle par rapport à un météore, je dirais même assez lente comparé à d’autres observations. On aurait dit un objet qui offrait une résistance assez importante au frottement. Il est est vrai que ce spectacle nous laisse peu de temps pour l’observer en détails tellement on en prend plein la vue. J’ai dû voir une demi-douzaine de bolides dans ma vie mais celui-ci était le plus lent observé. J’ai été passionné d’astronomie il fut un temps, et je possède un télescope de 115. Mais je passe beaucoup de temps la tête en l’air par les nuits claires. » (Philippe M.)
  • « J’étais avec mon fils de 9 ans en voiture, j’ai eu le temps de lui montrer malgré que ça allait à une vitesse fulgurante, encore plus vite je pense qu’un mirage. Nous avions les fenêtres fermées mais nous n’avons pas entendu de bruit (comme si ça avait été un avion justement). Très impressionnant à observer, j’aimerai beaucoup savoir ce que c’était. » (Marie-Lyne R.)

Alexid B. a filmé le phénomène depuis Vouillé-les-Marais (Vendée) :

Et pour cause ! Ce phénomène, ressemblant à un météore, n’en était pas un.

…mais un phénomène… artificiel !

Une étoile filante, ou météore**, est le phénomène lumineux associé à l’entrée à très grande vitesse (entre 12 et 72 km/s) d’une poussière interplanétaire dans notre atmosphère terrestre. Plus elles sont massives et rapides, plus elles sont lumineuses, pouvant donner naissance à ce qu’on appelle scientifiquement bolide*.

L’objet observé le 16 janvier 2022 était également associé à l’entrée atmosphérique d’un objet, mais comme le témoignent les observateurs, il semblait plus lent qu’un météore classique. Pour qu’un objet soit plus lent, il doit être en orbite autour de la Terre. Et la quasi-exclusivité des objets en orbite autour de la Terre (mais pas l’intégralité, puisque la Lune en fait partie) sont des objets… artificiels ! En l’occurrence, l’objet qui est rentré dans l’atmosphère cette matinée est un satellite de la constellation Starlink, numéroté 2287. Cette constellation (créée par la société américaine SpaceX), compte aujourd’hui plus de 1 900 satellites dans l’espace qui sont lancés par salves (34 lancements aujourd’hui) d’environ 60 satellites par des lanceurs Falcon (de la société SpaceX toujours). Elle a fait grand bruit dans les médias spécialisés, mais également auprès du grand public du fait du grand nombre de satellites devant être déployés (plus de 40 000 !), ainsi que de la pollution physique (plus de 180 satellites lancés récemment sont déjà hors de service) et visuelle (pour les astronomes) qu’elle engendre.

Starlink-2287 (NORAD = 48035, ID international = 2021-024BL) est tombé en panne quasi-immédiatement après avoir été lancé (avec 59 autres satellites Starlink) par une Falcon 9, le 24 mars 2021 (08h 28min TU) de Cap Canaveral. La traînée de satellites fraîchement lancée a pu être filmée par Olivier Staiger depuis les Alpes le lendemain (25 mars 2021, voir vidéo ci-dessus) : parmi cette traînée de petits points lumineux, qui sont tous les satellites Starlink lancés en même temps et pas encore dispersés, se trouve Starlink-2287, potentiellement celui qui devient très lumineux (satellite flare) pendant l’enregistrement (visible à 0:34 et 1:34 sur la vidéo), signe que le satellite est hors de contrôle et tourne sur lui-même.

Ce dernier est donc rentré dans l’atmosphère moins d’un an après son lancement, donnant un spectacle visible aux heureux lève-tôt de l’Ouest de la France ! Cette faible espérance de vie est source de risques spatiaux pour les satellites orbitant la Terre (puisque le satellite en panne est hors de contrôle) et révélatrice du manque de fiabilité de ces objets lancés en grand nombre pour seul objectif de fournir l’Internet à très haut-débit partout sur Terre (Table 1). Qui devient une préoccupation grandissante pour les astronomes du monde entier dont les images sont striées de traînées lumineuses associée à la multiplicité de ces petits satellites : une pollution lumineuse et spatiale qui n’épargnera aucune région du globe et dont on ne pourra plus s’affranchir.

Table 1- Liste des rentrées atmosphériques de débris spatiaux au cours des 30 derniers jours. Sur les 27 rentrées, 16 sont des satellites Starlink tombés en panne et hors de contrôle, soit près de 60% des rentrées actuelles, alors que ces satellites ont commencé à être lancés en mai 2019. Crédit : zarya.info

Nouvelle rentrée atmosphérique de Starlink le 21 janvier 2022

Cinq jours après la rentrée atmosphérique du satellite Starlink-2287 (NORAD = 48035, ID international = 2021-024BL), c’est un autre satellite Starlink, Starlink-1204 (NORAD = 45203, ID international = 2020-012AB), lancé le 17 février 2020, qui est retombé le 21 janvier 2022, à 13h 21min TU, à l’Est de la Belgique. Il a notamment été enregistré en radio par Willy Camps (Tessenderlo) et Johan Coussens (Harelbeke) du VVS (section radio-astronomie) (Figures 2 & 3).

Figure 2- Enregistrement des réflexions radio de l’émetteur belge BRAMS (49,97 MHz, à Dourbes) sur le satellite Starlink-1204 et ses débris lors de son entrée atmosphérique, le 21 janvier 2022, vers 13h 21min TU, par Johan Coussens (VVS, Harelbeke). Crédit: VVS, Johan Coussens

Figure 3- Enregistrement des réflexions radio de l’émetteur d’Ypres (49,97 MHz) sur le satellite Starlink-1204 et ses débris lors de son entrée atmosphérique, le 21 janvier 2022, vers 13h 21min TU, par Willy Camps (VVS, Tessenderlo). Crédit: VVS, Willy Camps

Lexique

* un bolide est un météore** (synonyme d’étoile filante) très lumineux. On désigne généralement par bolide tout météore plus lumineux que la planète Vénus (l’astre le plus brillant du ciel après le Soleil et la Lune)

**un météore (ou étoile filante) est le trait lumineux observé lorsqu’une poussière interplanétaire ou un petit météoroïde*** pénètre dans l’atmosphère terrestre à très grande vitesse (entre 12 et 72 km/s)

***un météoroïde est une petite particule de quelques millimètres à quelques dizaines de centimètres de diamètre qui se déplace dans l’espace. C’est elle qui donne naissance au météore si elle a la chance de pénétrer dans l’atmosphère de la Terre. Si le météoroïde est suffisamment massif, une partie de l’objet peut résister à cette entrée dans l’atmosphère, et donner naissance à une météorite****

****une météorite est le caillou rocheux ou métallique qui est retrouvé sur terre, lorsqu’une partie d’un météoroïde suffisamment massif a réussi à traverser l’atmosphère et arriver au sol